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Le plein d’images
Quelle place pour la peinture à l’heure des instantanés ?
La pertinance de la peinture pour rendre le zeitgeist ?
L’éventuel échec de la peinture face à l’émergence de la photographie a été soulevé en 1962 déjà par Gerhard Richter, qui fait alors sa première photo-peinture d’après un instantané de Brigitte Bardot. Las de faire de l’Art à lettre majuscule, « la peinture à partir d’une photographie me semblait la chose la plus stupide et antiartistique que l’on puisse faire», explique le lugubre Allemand dans La pratique quotidienne de la peinture (p. 22). D’autres, comme Peter Doig, Marlene Dumas, Luc Tuymans et de nombreux peintres émergents ont chacun posé la même question sur la pertinence de la peinture pour capturer l’esprit de notre temps.
Or, aujourd’hui, les images sont encore plus présents que jamais, grâce aux nouvelles technologies et par le biais des nombreuses mises à jour sur facebook, des flux tumblr, instagram & hipstamatic, pinit, tweets («gazouillis») et des billets des blogs.
Reste à évaluer la valeur de la prolifération des images. On a coutume de dire qu’une image vaut plus que mille mots, mais certaines photographies — dont la ‘stock photography’ — semblent ne dire rien du tout. D’autres se voient utiliser dans des contextes différents et même contradictoires: la photographie a détruit l’unicité des images, et, par conséquent, multiplié et rompu leur sens.
L’essor de la communication visuelle rends l’évaluation de son influence encore plus d’actualité pour les peintres aussi bien que pour les photographes qui réfléchissent sur la création contemporaine et l’utilisation des images.
Aurélien Dupuis s’inspire des motifs familiers et abondants, comme des portraits d’école et de travail (les séries « 48 portraits », « Employé (e) / Medewerker »), des catalogues immobiliers (« Pavillons »), des clichés amateurs trouvés sur
les marchés aux puces (« X ») ou l’Internet (« Enfant + chien »,
« Dormeurs »). Il recrée ces images répandues — captures éculés de la vie moderne — en utilisant des matériaux ‘lents’ tels que le charbon et les feutres d’enfant, tout en préservant la basse définition, pixellisation et surexposition des photos vite faites.
C’est précisément ce choix de technique qui rend son travail fascinant malgré les sujets ordinaires, en introduisant pathos et complexité. À première vue, les feutres les enfants évoquent un sentiment de nostalgie puérile; ensuite, il y a quelque chose d’absurde quand un peintre diplômé s’amuse avec des feutres quand il pourrait utiliser des matériaux appropriés pour faire de l’Art.
Le choix des sujets est lui aussi ambiguë. D’une part, il s’agit de personnes et de situations sans charme ou conséquence particulière. D’autre part, le peintre doit penser qu’ils sont dignes de considération, vu l’effort à les recréer ?
Encore plus d’incertitude vient du fait qu’Aurélien travaille en série et avec des répétitions, ce qui à la fois simule et conteste l’utilisation des copies dans les médias et sur Internet. C’est justement cette ouverture aux interprétations contradictoires qui définit la qualité du travail d’Aurélien, et qui intervient afin de mieux voir et de déclencher la mémoire.
Aleksandra Eriksson Pogorzelska
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